Divagations nocturnes

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Mon refus de dormir ne vient pas tellement de l'envie de déambuler mais plutôt d'avoir une longue plage de temps devant moi. C'est une éternité qui n'est pas interrompue par les coups de téléphone, le facteur ou les repas. Au départ, c'est ça: un moment propice au travail. Et plus ça a été, plus j'ai trouvé ça formidable, et finalement je me suis sauvé, j'ai moins travaillé la nuit et je suis sorti. (...)
Je ne suis pas un adepte de la demi-bouteille. Elle sera toujours moins bonne que la bouteille. L'écrivain espagnol Raul Gomez de la Serna a dit : «Celui qui prend une demi-bouteille, il lui manquera toujours l'autre moitié.» Curieusement, dans presque toutes les villes où je suis allé, il y avait une spécialité pour ceux qui traversent la nuit: manger des tripes le matin. En Espagne, en Tchécoslovaquie, à Berlin. Ici, c'est l'andouillette.
Dans un grand livre sur la nuit, je consacrerais un chapitre entier à ce rapport entre les tripes et la fin de la nuit. Comme si c'était la récompense de ceux qui sont victorieusement arrivés à l'aube. Je crois qu'il y a une raison qui est tout à fait logique. Pour les buveurs, c'est tonique, c'est bon. J'ai toujours été obsédé par la ressemblance qu'il y a entre les circonvolutions cérébrales et intestinales. La nuit, c'est le passage du cerveau aux tripes."
Propos recueillis par Emmanuelle Bosc (Nouvel Obs du 19/08/1993)