NICK GRIMSON

Voici l'article dans son intégralité. Il gênera beaucoup de personnes tant la pertinence du propos est dérangeante. Pourtant, il résume admirablement ce que je pense depuis longtemps.
Depuis la création de ce blog, la publication d'un article qui n'est pas de votre serviteur est une première.
A la défense des artistes défunts
Comment éviter la profanation des artistes par les ayant-droits.
Si d’une façon générale je n’aime pas le principe d’appropriation des morts par les vivants, il est un cas qui m’est insupportable c’est la reconnaissance d’une propriété de l’œuvre artistique à quelqu’un d’autre que l’artiste lui-même, fut-il mort :
les ayantdroits, les membres de la famille, en quoi sont-ils légitimes à revendiquer une quelconque propriété sur une production de l’esprit, qu’ils auront pu certes côtoyer, parfois partager et peut-être influencer, mais dont ils n’ont pas jamais été les auteurs ?
Une fois l’artiste disparu leur intérêt devient même divergent de celui de l’artiste, ils se mettent à jouer contre lui, ils lui nuisent, certes le plus souvent involontairement, mais c’est presque toujours le cas.
L’œuvre doit survivre à l’artiste mort car si le créateur a disparu le but de l’œuvre reste le même. De son vivant l’artiste peut contrôler son entourage pour apprécier la promotion faite à ses œuvres quand il ne peut le faire lui même. Il peut tirer un profit légitime de sa production artistique, il peut donc par exemple s’il le souhaite freiner la diffusion de son œuvre pour organiser sa rareté…Mais une fois mort l’intérêt de l’artiste n’est plus dans la valeur d’échange de son œuvre mais dans la reconnaissance de cette même œuvre, dans sa capacité à s’inscrire dans l’histoire, grande ou petite, de l’art, dans la postérité.
Ainsi du fait de cette obligation morale naît une responsabilité nouvelle, d’ ayant-droit ils deviennent des «ayant-devoirs». Mais même s’ils en ont parfois la volonté en ont-ils la capacité ?
Pourquoi reconnaître aux ayant-droit le droit de pouvoir parasiter l’œuvre pour vivre à son détriment. La valeur d’échange n’importe plus pour un mort, tout doit donc être fait pour promouvoir a posteriori la diffusion de l’œuvre.
Tous les arts ne sont pas au même niveau d’égalité, certains sont reproductibles directement (la musique, la littérature….), d’autres indirectement comme la peinture ou la sculpture…
Paradoxalement les technologies numériques de reproduction et de diffusion viennent au secours de l’artiste, même et presque surtout quand il est mort.
Les réseaux de communication et la numérisation privent parfois l’artiste vivant de certains produits potentiels de son œuvre (piratage, reproduction illégale , échanges de produits d’occasion…).
Mais une fois mort ?…. c’est l’inverse !
Les différents amateurs ou amoureux de l’œuvre, même les plus maladroits, peuvent la faire survivre, connaître et apprécier, la reproduire, la diffuser via Internet, ils peuvent s’organiser en groupes ou s’exprimer individuellement, etc.
Ce n’est plus du piratage, c’est du « pirat’hommage».
Aujourd’hui beaucoup d’auteurs morts ont leurs livres épuisés, ces auteurs meurent 2 fois.
Les éditeurs n’ont peut-être pas pu toujours bien promouvoir leur artiste, contraintes économiques dont on ne peut nier l’importance, choix de mise « en tête de gondole » d’auteurs à lancer, etc..
Pourquoi ne pas rendre libre de droits des écrits dont on n’est pas capable d’assurer la diffusion et la promotion ?
Pourquoi s’opposer à la numérisation d’œuvres introuvables qui ne profitent plus qu’à des spéculateurs privés ou à la spéculation des ayant-droits eux-mêmes ?
Pourquoi attendre les délais si longs de passage dans le domaine public ?
Pourquoi confier aveuglément tous les droits à des individus dont l’incompétence et l’intérêt pour un profit post-mortem nuit à l’artiste défunt?
L’héritage de droits sur une œuvre est une spoliation posthume de l’artiste, c’est une profanation, c’est dégueulasse.
Nick Grimson