L'allée dite artistique

Il y passent parce qu'ils disent : "Ah !, il y a là des choses formidables parmi les papiers gras !"
Dans un premier temps, tout le monde rouspète et s'écrie : "Ah, mais ce n'est pas possible..."
L'artiste pourtant continue de faire front, ne se laisse pas entamer, il est convaincu de ses idées. Et chaque fois qu'il se voit interpellé, il n'hésite pas à répondre : "L'art c'est le papier gras !"
Ce qui se passe au bout du compte, c'est qu'il se trouve toujours deux ou trois personnes pour le suivre et constater combien la vision des choses depuis les plates bandes est formidable. Les premiers adeptes enthousiastes ne manquent pas de le signaler (...) La critique, l'idéologie, les marchands, la mode... décident alors que l'art ne se résume pas aux limites établies jusque là, c'est à dire aux allées, certaines portions de pelouse se trouvent désormais intégrées, à condition qu'elles soient jonchées de papiers gras réglementaires (...) Les artistes finissent par l'emporter, par gagner. Ils gagnent parce qu'ils sont capables de créer des mensonges de plus en plus splendides mais ces mensonges sont rattachés à la réalité. Les merveilleux mensonges de l'art sont de splendides moyens de lire la réalité et à ce titre, ce ne sont pas exclusivement des mensonges, ou des affirmations fausses. Ils tapent dans le mille, au pif."
Extrait de Courts Termes/ En aparté avec Eddy Devolder/Editions Dumerchez (1994)